39ème Café Mémoire
Vendredi 18 septembre 2015
L’histoire du chasselas au Thor
par Jean Ronze
La date de ce rendez-vous fut avancée de quelques semaines par rapport à celle habituellement retenue pour
le dernier Café Mémoire de l’année, car si nous voulions accueillir dignement sur nos tables et dans de bonnes conditions cette petite merveille gorgée de soleil et sucrée à souhait, il fallait respecter le calendrier de la nature !
Cette fois, personne ne présenta notre conférencier Jean Ronze, connu de tous, il était chez lui ! Qui pouvait parler de cette aventure mieux que lui, membre des Amis du Vieux Velleron, (également Président des Chevaliers de l’Onde) mais avant tout, enfant du pays, amoureux de la Provence et connaissant parfaitement sa terre natale.
La vigne, il connaît bien…mais les ceps du Thor gardent pour lui un parfum particulier puisque ce sont ces terres, qu’adolescent il arpentait avec des jeunes de son âge pour y travailler et récolter ces merveilleux grains dorés qui firent la réputation et la fortune de ce village vauclusien voisin de Velleron.
L’été avait été consacré à la recherche de matériel authentique, et d’objets divers datant de cet âge d’or, (cageots de ramassage, étiquettes, carrioles, ciseaux etc) que très spontanément les heureux détenteurs prêtèrent pour la circonstance.
Chaque rendez-vous confirme le plaisir qu’ont les habitués et les nouveaux venus à se rencontrer et à partager un moment de convivialité, car malgré ce changement de date, et quelques fidèles encore en vacances, une soixantaine de plateaux repas fut servie dans un camaïeu de jaune et de vert, couleurs délicates du chasselas.
Par ses connaissances, ses explications précises même dans les domaines les plus techniques, Jean Ronze captiva l’assemblée, en nous racontant comment, à force de recherches et de ténacité de certains biologistes, leurs découvertes permirent à notre beau vignoble français et européen, mis à mal par différentes maladies, de retrouver la prospérité.
Mais je laisse à Marie-Claude S. le plaisir de vous rapporter dans le détail cette belle conférence …
Avant de rentrer dans le vif du sujet, notre ami Jean RONZE précise que cette conférence a été préparée avec l’aide des AVV et des personnes qui ont prêté des documents d’époque, et les en remercie vivement.
Un peu d’histoire :
Le conférencier nous rappelle que la vigne est cultivée depuis 6000 ans avant Jésus Christ. Dès l’Antiquité, elle se répand tout autour de la Méditerranée, puis environ 600 ans avant Jésus Christ on la trouve dans la Gaule, essentiellement sous l’impulsion du clergé et des moines, grands propriétaires fonciers qui possédaient la science de la vigne. C’est alors le raisin sec, qui est le plus demandé, car il se conserve et se transporte facilement. Le raisin frais ne prendra son essor qu’au XX° siècle avec la modernisation des transports ferroviaires et routiers.
En 1863, la première attaque de phylloxera* a lieu à Pujaut, puis dans le Vaucluse (1868). En 1880, les trois quarts du vignoble français seront atteints.
*(feuille sèche- du grec feuille et du mot sec) causé par un insecte piqueur apparenté au puceron qui s’attaque à la racine de la vigne et en dessèche les feuilles.
C’est alors qu’un scientifique, Monsieur Faucon, repère l’insecte qui perce les ceps de vigne et provoque la maladie. Ensuite, le baron Thénard, propriétaire de la Romanée Conti en Bourgogne, met au point un traitement consistant à immerger les vignes pour les débarrasser de l’insecte.
Le Docteur Seigle, originaire du Thor, décide à sa retraite de cultiver les vignes familiales. Pour les sauver, il applique la technique de l’immersion, rapidement suivi par les autres viticulteurs. Cette immersion sous 25cm d’eau pouvait durer jusqu’à 52 jours en fonction de la nature des sols. C’est la raison pour laquelle on trouve encore des mayres (canaux) au tour de parcelles autrefois plantées en vigne.
Ainsi, les plantations seront sauvées et le Chasselas Doré fera la fortune du Thor qui sera nommé « Capitale mondiale du raisin de table » : le Chasselas Doré. En 1900, le vignoble est redevenu ce qu’il était avant le phylloxera. Le Docteur Seigle sera considéré comme le sauveur de son village. Depuis le 17 mai 2015, un cours porte son nom.
La récolte :
Celle-ci se fait évidemment à la main, en tenant la grappe par la tige pour ne pas enlever la « pruine », fleur qui enrobe le grain, signe de fraîcheur.
Pour l’emballage, jusque dans les années 50 on a utilisé des « Mussy » ou billots d’une contenance de 5 à 15 kg.
Le raisin étant abimé pendant le transport, on utilisera ensuite des plateaux mieux adaptés et moins chers.
La récolte est assurée par de la main-d’œuvre venue en particulier de l’Ardèche et du Gard. De nombreuses jeunes filles venaient faire la saison des vendanges. Des fêtes et des bals animaient alors les villages.
Les marchés :
La saison commence le 14 juillet dans le Gard, un peu plus tard dans le Vaucluse. Le 15 août a lieu l’ouverture officielle du marché du Thor, puis celle de Cavaillon, Caumont, Châteauneuf-de- Gadagne.
Une halle couverte est créée au Thor pour protéger les fruits et les exposer sous leur plus beau jour afin d’attirer les acheteurs. Jean Ronze nous livre une anecdote à ce sujet : le bourrelier du Thor, Monsieur Gounard, montait sur les camionnettes des arceaux recouverts d’une bâche écrue qui donnait aux grains une couleur dorée très flatteuse.
Après le Chasselas arrivaient le Cardinal, l’Alphonse Lavallée, le Muscat de Hambourg, en septembre le Gros Vert, le Dattier de Malaga, le Muscat d’Alexandrie. En octobre arrivaient dans le Luberon les Chasselas et Gros vert, enfin début novembre le Servan et l’Olivette à Villes-sur-Auzon et Saint-Didier.
De gros expéditeurs se sont installés au Thor. A tel point que la gare sera placée au premier rang mondial pour l’expédition du raisin de table. Aussi la ville est très animée. On y trouve un bel hôtel, le « Chasselas », des restaurants, de nombreux cafés, une salle de jeu, une station uvale située au rez-de-chaussée du « Chasselas ».
Afin de développer le marché, le Syndicat des viticulteurs a préconisé plusieurs mesures concernant le transport, la qualité, la publicité.
Des cures sont mises en place avec le soutien du corps médical. Elles sont supposées soigner de nombreux maux. On « prenait le raisin « comme on « prenait les eaux ».
Des stations uvales sont créées, réservées à une clientèle haut de gamme.
Notre conférencier aura fait un tour d’horizon ce cette époque où le roi «Chasselas » prenant la suite de la garance, a contribué à la richesse et à la renommée du Thor et par ricochet de la région.
La fin des années 60 voit la fin du Chasselas due à la concurrence étrangère et au coût de la main-d’œuvre.
Malgré des raisins de table de qualité dans des communes comme Ville-sur-Auzon et Saint-Didier, aujourd’hui notre région est plus connue pour ses crus : Côtes du Rhône, Côtes du Ventoux, Luberon.
Au Thor, les vignes ont été remplacées par les pommiers et l’hôtel Le Chasselas divisé en appartements.
Pour terminer, nous assistons à la projection d’un film de l’INA (institut national audio –visuel) sur la grande époque du Chasselas dont une partie a été tournée au Thor.
Pour étayer les dires du conférencier, de magnifiques grappes furent offertes aux invités, qui purent apprécier et confirmer que le Chasselas mérite et conserve son titre : « de meilleur raisin de table ».
La conférence/dialogue avec l’assemblée entamée en début de soirée eut bien du mal à s’interrompre malgré les rappels d’applaudissements.
Mais, Jean Ronze reprit sa casquette de présentateur et annonça sa prochaine intervention : samedi 24 octobre à 14h30 à la salle des fêtes de l’Isle sur Sorgue. Cette conférence, organisée par l’association Memori de L’Isle aura pour thème : « La gélatine à travers les âges et les Etablissements Rousselot, 100 ans de présence à L’Isle ».
C’est dans cette entreprise que Jean Ronze, entré jeune ingénieur, passa toute sa carrière. Ravi de pouvoir partager son expérience, il vous attend nombreux ! M.K et MC.S