59ème Café Mémoire – Vendredi 24 Février 2023

A table, avec les Romains

Malgré un mistral mordant, la salle du vieil Hôpital fut, ce soir- là, vite animée d’une cinquantaine d’invités ayant répondu à l’invitation de Mélanie Bienfait, qui devait une fois encore nous conduire à travers le monde Romain, pour y découvrir cette fois : ˝La cuisine antique romaine˝

Cette conférencière très sympathique, nous l’avions invitée, la première fois à la fin de l’année 2022, dans le cadre des rencontres Contes et Légendes organisées conjointement avec l’association Les Chevaliers de l’Onde. Elle était venue expliquer à un auditoire curieux et attentif l’histoire et l’utilisation de l’eau chez les Romains. Ayant gardé un excellent souvenir de cette rencontre, c’est sans hésitation que nous avions programmé ce nouveau rendez-vous, pour ouvrir la saison 2023 des Cafés Mémoire.

Pour donner à cette soirée un petit air amusant, sur ses conseils, nous avions préparé au mieux de nos possibilités, quelques échantillons de mets et breuvages qui se dégustaient à l’époque des romains, en remplaçant le kir habituel de bienvenue par un verre de vin aromatisé d’épices et de quelques coupelles d’ »épityrum », la tapenade romaine.
Des lentilles (déjà consommées à l’époque) préparées en salade, prirent place dans le menu.

Cette initiative originale permit rapidement des échanges de commentaires entre convives, et donna à cette soirée un ton très convivial pour accueillir notre conférencière ravie de retrouver un public impatient de se laisser conduire à travers le temps ! Pour ce premier Café Mémoire de l’année 2023, le président administratif Alain Caulet, indisponible momentanément avait confié à Marie-Claude Baulin, adhérente de Velleron Culture & Patrimoine et auteure de plusieurs ouvrages publiés par l’association,*le soin d’accueillir pour la seconde fois à Velleron, la guide conférencière Mélanie Bienfait, qui se laissa très gentiment équiper du matériel indispensable pour la bonne réception sonore de ses récitTout était en place pour cette immersion dans le monde romain antique, que le public attendait impatiemment.


Alors, Mélanie Bienfait nous entraîna dans la cuisine romaine, souleva les couvercles des marmites puis nous conduisit dans la salle du repas pour nous faire partager des curiosités culinaires et quelques pratiques étonnamment modernes.
Elle rappela d’abord qu’il existe très peu d’écrits d’époque sur l’alimentation à l’exception du traité culinaire de Marius Gavius Apicius, qui fut le cuisinier de l’empereur Tibère. Gourmet et jouisseur ce très riche personnage de la haute société romaine, consacra la majeure partie de son temps et de sa fortune à la bonne chère. Sa notoriété lui vint de ses expériences culinaires extravagantes composées surtout d’ingrédients provenant de lieux lointains, somptueux et coûteux. D’autres anecdotes culinaires nous sont livrées pas des écrivains au hasard de leurs propos, tel Pline le Jeune. Mais toutes ces sources décrivent l’alimentation de l’élite et ne concernent en rien les repas quotidiens du peuple.
Fort heureusement, les historiens disposent de nombreuses traces archéologiques : bas- reliefs, fresques, mosaïques, ustensiles de cuisine, qui nous révèlent l’alimentation antique. Les fouilles de Pompéi et Herculanum, gardées intactes pendant des siècles sous les projections volcaniques sont particulièrement précieuses.




La simplicité et la frugalité caractérisaient la cuisine ordinaire, composée d’aliments avant tout d’origine végétale : céréales et bouillie de légumes. Cette cuisine resta la nourriture traditionnelle des campagnes durant l’époque de l’empire, période durant laquelle les écarts se creusèrent entre le petit peuple et les classes aisées. En effet, les conquêtes et la provision de produits nouveaux engendrèrent un véritable art culinaire. Le goût pour la gastronomie va même atteindre de véritables excès dans l’entourage des Empereurs.


Les céréales étaient d’abord consommées sous forme de bouillie (sorte de polenta) ou de galettes. C’est au IIème siècle que le pain fit son apparition. Nous apprenons qu’il était estampillé afin (déjà) d’assurer une traçabilité en cas de problème !
A l’exception des tomates, poivrons, aubergines, courgettes et pommes de terre, les légumes et fruits sont comparables aux nôtres. On consommait les légumineuses (fèves, lentilles, pois) mais aussi des asperges, navets, poireaux, céleri, concombres, artichauts, champignons….

Les fruits les plus répandus étaient les pommes, les figues et le raisin, mais grâce au vaste Empire, on importait d’autres fruits comme les pêches de Mésopotamie et les dattes d’Égypte. (Serait-ce la genèse de la mondialisation ?
Viandes et Poissons n’étaient consommés que dans des occasions particulières.


Produit coûteux, la viande (porcs, agneau volailles et gibier) était plus bouillie que rôtie et consommée en petites quantités sous forme de petites saucisses.
Nous apprenons que les Romains raffolaient de tétines de truie ! De même qu’ils affectionnaient particulièrement… les loirs (les « glis glis ») qu’ils engraissaient dans un pot de terre dont l’intérieur en forme de spirale servait de promenoir à l’animal. Les poissons (d’eau douce et de mer) et crustacés étaient consommés frais, séchés, salés ou marinés. Un vivier a été retrouvé à Vaison-la-Romaine, avec un pot qui servait de frayère.
Une cuisine très relevée aux saveurs très particulières
Les Romains avaient un goût prononcé pour les saveurs fortes, les mélanges salé-acide.

L’utilisation de l’huile d’olive, le vinaigre, le miel et des condiments constituaient les éléments de base de toute préparation.
Le sel qui servait à conserver, n’était pas employé dans les préparations. Par contre, une sauce était quasiment indispensable pour accompagner tous les plats : le « garum », obtenu en laissant macérer des viscères de poissons séchés au soleil ; ce condiment (assez proche de la sauce nuoc-mâm que l’on trouve aujourd’hui dans la cuisine asiatique) remplaçait le sel de cristal.
Les Romains excellaient dans les mélanges d’aromates (coriandre, fenouil, origan ; menthe ; thym) et les épices plus coûteuses (poivre, cumin, gingembre) venues d’Orient.
Sans doute nos palais modernes seraient-ils surpris par ces saveurs corsées ainsi que le goût très marqué pour le mélange sucré-poivré, même dans les desserts !
Les repas

De nombreuses habitations modestes étaient dépourvues de cuisine. Quand il y en avait une ce n’était qu’une petite pièce rudimentaire vite enfumée, mal aérée. Les Romains modestes se rendaient volontiers dans des petites échoppes de rue où l’on servait des plats assez grossiers mais consistants et peu coûteux que l’on pouvait consommer sur place ou emporter. Les Romains connaissaient donc déjà les fast-foods ! Ces établissements étaient fréquentés par le petit peuple. En 2020, un « thermopolium » en excellent état de conservation fut exhumé des cendres de Pompéi : un comptoir avec des pots en terre cuite contenant encore des restes alimentaires.

A l’opposé de cette restauration rapide, des mets plus raffinés étaient servis dans la salle à manger des classes les plus aisées. C’est dans le triclinium que l’on servait le principal repas de la journée : autour d’un guéridon central, trois canapés-lits occupaient trois côtés, le quatrième étant réservé au service. Ce repas, la « cena », commençait dès seize heures et se prolongeait jusqu’à la nuit. Les convives (hommes et femmes) mangeaient en position semi-allongée, s’appuyant sur le coude gauche tandis que de leur main droite, avec les doigts, ils se servaient dans le plat commun. Le repas comprenait trois plats qui correspondent à peu près à nos hors d’œuvre, plat principal et dessert : le « gustatio », la « prima mensa », la « secunda mensa », le tout étant accompagné d’un vin aromatisé d’épices et d’aromates, très épais, toujours largement coupé d’eau.
On avait l’habitude de jeter au sol les arêtes, les os, les coquilles. Ces déchets ne devaient être débarrassés que le lendemain matin, car ils étaient considérés comme une offrande faite aux ancêtres.
A la lecture des règles élémentaires de savoir-vivre qui étaient rappelées, on imagine l’incivilité de certains convives et l’on ne peut qu’être surpris par le contraste saisissant entre le faste du lieu et de telles inconvenances !
Que ta serviette protège nos coussins
Évite si tu peux les querelles stupides et les injures haineuses
Évite si tu peux tes regards lascifs à la femme d’autrui
Ne tiens pas de propos indécents

Pour les empereurs, le banquet devait représenter la richesse et la puissance. Le faste du décor et l’opulence des mets les plus inattendus atteignaient la démesure.

Parmi les salles de repas les plus époustouflantes, citons la « Cenatio Rotunda » de Néron mise au jour en 2009 : une fabuleuse salle à manger tournante au sommet d’une tour de plus de 20 mètres de haut : les convives avaient une extraordinaire vue panoramique sur la ville. Citons également le triclinium de « la Villa d’Hadrien » à Tivoli : les plats arrivaient sur l’eau jusqu’aux convives dans une mise en scène extraordinaire ! Bon nombre d’empereurs sont restés mesurés face aux plaisirs de la chère. Il n’en est pas de même de certains que l’histoire a davantage retenus pour leurs abus alimentaires et leur concupiscence que pour leurs actions. Des écrivains antiques ont évoqué ces orgies pour souligner leur indécence.
Mais pour s’assurer du calme social, les Empereurs distribuaient de la nourriture au peuple et lui offraient des spectacles. « Panem et circenses » : du pain et des jeux, expression du Poète Juvénal.


En conclusion de cette conférence aussi vivante que riche, Mélanie Bienfait nous propose, avec l’humour qu’on lui connaît désormais, de revenir dans notre XXIème siècle avec une image de BD.
Les convives, enchantés de cette prestation, applaudirent chaleureusement notre conférencière.
Nous vous donnons rendez-vous aux festivités de Velleron en mai.
A bientôt ! (m.K – mc.B)
* Ces ouvrages sont disponibles au siège de l’association, ainsi que dans certaines librairies de l’Isle sur la Sorgue.