Vendredi 20 Juin 2014
Les Vauclusiens dans la Grande Guerre
Par Serge Truphémus
Le mois de juin 2014 particulièrement chargé en événements sportifs laissait envisager un « petit » Café Mémoire, mais à la satisfaction générale, les premières inscriptions bloquées un temps, redémarrèrent en flèche et c’est avec beaucoup de plaisir que 67 plateaux repas furent servis et qu’une petite dizaine d’auditeurs fut accueillie pour la conférence.
Exceptionnellement, les portes furent ouvertes dès 19 h pour permettre à tous d’avoir le temps de découvrir, l’exposition riche en costumes et objets authentiques de la première guerre mondiale, gentiment prêtée et mise en place par Messieurs Dumont Père et Fils, deux Velleronnais passionnés de cette époque dramatique de notre passé.
Le kir habituel de bienvenue permit aux uns et aux autres de découvrir tranquillement les pièces rares et documents personnels exposés sous vitrines, avant de passer à table.
Malgré la gravité du sujet et parfois le souvenir de tristes événements familiaux, l’ambiance resta chaleureuse et conviviale.
Le repas complimenté, les derniers cafés servis, la salle devint attentive à la présentation du conférencier, Serge Truphémus. Très rapidement, elle sentit et comprit la passion qui animait ce professeur d’histoire et l’intérêt qu’il portait à ces terribles années de la Grande Guerre.
Le diaporama confectionné par ses soins fut largement commenté et complété de précisions concernant « notre histoire locale », et chacun pouvait suivre aisément les événements.
Mais…
Je laisse à Marie-Claude le soin de vous faire le compte-rendu de la conférence … M.K
Cette conférence du 20 juin s’inscrit dans le cadre du centenaire de la première guerre mondiale, à quelques jours de la date anniversaire de l’événement déclencheur du conflit : l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914. Monsieur Serge Truphémus est membre de l‘association » Les Poilus du Vaucluse » et c’est sous cet angle local qu’il a organisé sa conférence. Pendant près de deux heures, il va nous expliquer les conditions de vie de ce département de l’arrière durant ces terribles années.A cette occasion, Monsieur Dumont, qui a regroupé une belle collection de costumes et armes de l’époque, nous en a fort gentiment prêté une partie, et une exposition intéressante est venue illustrer la conférence.
Monsieur Truphémus évoque d’abord l’état d’esprit de l’époque à l’annonce de la mobilisation, alors que Jaurès vient d’être assassiné le 31 juillet. On a coutume de présenter un Midi rouge, rebelle, pacifiste. Pourtant, à Avignon, 10 000 personnes se rassemblent avenue de la République pour exprimer leur enthousiasme patriotique. Quelques voix pacifistes s’élèvent bien comme celles d’Alexandre Blanc, Henri Gourdeaux, mais leurs tentatives sont vite balayées par l’idée de revanche qui a fait son chemin depuis longtemps. Dans les campagnes, c’est différent : aucune exaltation, mais chacun est résigné à faire son devoir. Un formidable effort logistique est tout de suite engagé. Les hommes sont incorporés, regroupés dans les casernes, tandis que les chevaux sont réquisitionnés. La France compte 21 régions militaires. Les Vauclusiens font dans l’ensemble partie du 15ème corps de Marseille, celui des » Provençaux », même si certaines affectations par tirage au sort sont plus lointaines. Le Vaucluse ne compte que deux villes de garnisons : Orange et surtout Avignon : là,
15 000 soldats s’ajoutent aux 50 000 habitants, et la tranquillité publique s’en trouve affectée ; l’alcoolisme provoque des incidents, ce qui oblige les autorités locales à fermer les débits de boisson très tôt en soirée. Bien sûr, les gens sont avides d’informations, mais les journaux se font rares, en raison de la désorganisation générale de l’impression et du transport, Dans ces conditions, les rumeurs ont tôt fait de se répandre. Les autorités doivent placarder des affiches pour annoncer que ceux qui les propagent seront passibles de sanctions. D’ailleurs, la florissante société Maggi-Kub va faire les frais d’une folle rumeur, sans doute alimentée par des concurrents et reprise par
Léon Daudet dans « l’Action Française« , et la peur irrationnelle de l’espionnage fera le reste : le bruit court que les plaques publicitaires du Bouillon Kub serviraient d’indicateurs pour les déplacements des troupes allemandes et les endroits à réquisitionner ! Le gouvernement français ne résiste pas à cette divagation : le 4 août, dans un télégraphe du ministre de l’intérieur, les préfets reçoivent l’ordre de faire détruire ces panneaux publicitaires. Le 5 Août, les hommes du 58ème régiment d’infanterie quittent le Vaucluse en gare de Villeneuve-lès-Avignon, bien conscients que tous ne reviendront pas. En effet, sur 3300, quinze jours plus tard, il n’est restera que 1000 en état de combat. Pertes impressionnantes qui mettent en question le pantalon rouge que
portent les hommes. On pense évidemment à la garance dont le Vaucluse est le principal producteur. En fait, la culture a été abandonnée depuis 1885 ; pour produire le rouge, on utilise l’alizarine, produit de synthèse d’origine allemande. Si certains considèrent qu’il n’est vraiment pas judicieux de partir en rouge, d’autres au contraire affirment, comme le dira un ministre que « le pantalon rouge, c’est la France ». La question de l’incidence du pantalon rouge sur les pertes fait encore débat de nos jours. Serge Truphémus évoque rapidement les premières batailles de Lorraine, désastreuses. La stratégie de Joffre est de reprendre très vite les provinces perdues, mais sa tactique se révèle un échec. Car l’état major considère que l’offensive à outrance, l’esprit combatif et la volonté des soldats seront autant d’atouts
pour l’emporter, mais il sous-estime la puissance militaire de l’ennemi. Les pertes sont terribles. A Lagarde, le 11 août, pour les hommes du régiment d’Avignon, sur les 2200 soldats, en une matinée, il n’en reste que 100. Quelques jours plus tard, à Dieuze, la redoutable artillerie allemande contraint les fantassins à se replier. De là naît l’affaire du
15ème corps, clairement désigné comme responsable dans un article du « Matin« , sans doute une façon de dédouaner l’état major de ses responsabilités ; mais cette stigmatisation des Provençaux constitue une véritable injure, une atteinte à leur l’honneur. Le sujet continue de marquer l’histoire provençale. Même si d’ardents défenseurs du 15è corps comme le député Tissier ou l’ancien préfet Jules Belleudy, s’élèvent contre ces accusations injustifiées, celles-ci laissent des traces insidieuses dans la population du Vaucluse, ce qui explique sans doute la solidarité et la générosité particulières lors des collectes du « Petit paquet vauclusien », comme une sorte de compensation au comportement présumé des Provençaux. Dans l’armée, la méfiance est encore plus manifeste. Sur de simples soupçons, un blessé peut être accusé d’automutilation et fusillé sans délai. Par la suite, nombreux soldats du 58ème régiment sont envoyés à Salonique : sur ce front d’Orient, statique, ils se trouvent dans un camp retranché insalubre ravagé par les maladies (typhus, malaria, choléra). La suite de la guerre les conduira jusqu’en Crimée où se battront encore en 1919 contre les Bolcheviks. Pendant ce temps, pour les civils, la vie locale est totalement bouleversée. Ils vivent dans l’attente de nouvelles. Les blessés revenus des tranchées racontent les horreurs de la guerre, ce qui n’est pas pour les rassurer.
L’administration a bien du mal à informer les familles, reconnaissant même parfois qu’elle ne sait pas où sont les soldats ; quant aux avis de décès ou de disparition, ils arrivent bien longtemps après (sept ans après pour un combattant mort à Dieuze, dont la famille n’a reçu le document qu’en 1921 !). Des hôpitaux « auxiliaires » et des centres de convalescence se développent un peu partout dans le Vaucluse. Leur installation fait parfois l’objet de frictions entre les communes et les associations caritatives, chacun voulant « ses » convalescents. Il faut aussi accueillir les aliénés évacués des asiles reconvertis en hôpitaux pour soigner les blessés de guerre (un cas célèbre, celui de Camille Claudel transférée à l’hôpital Montdevergues de Montfavet). Des réfugiés arrivent de l’est et du nord. Certes, ils sont bien accueillis, mais la guerre s’éternisant, on les juge plutôt encombrants. En gare d’Avignon passent des troupes coloniales, des Hindous, des Annamites, qui suscitent une grande curiosité. La population doit faire face à la pénurie de main d’œuvre masculine. Bien entendu, ce sont les femmes qui prennent le relais, occupant des postes auxquels elles ne pouvaient accéder tant que les
hommes étaient là. L’industrie de guerre est présente dans le département avec la poudrerie de Sorgues. La main d’œuvre féminine manque aussi, au point que les employeurs demandent l’abaissement de l’âge des jeunes filles candidates au travail. Dans
l’agriculture aussi se pose le problème de la main d’œuvre, mais également du manque d’animaux, un cheval sur trois ayant été réquisitionné. Il faut s’adapter : des soldats obtiennent une permission agricole, les prisonniers de guerre sont mis à la tâche, on utilise la main d’œuvre indigène des troupes coloniales, notamment les Annamites pour la culture du riz de Camargue. De plus, un phénomène d’ampleur se développe avec l’arrivée massive d’immigrés, surtout italiens … Et on assiste à un début de mécanisation. Certaines denrées devenant insuffisantes, des tickets de rationnement sont mis en place. Si le pain n’a pas beaucoup augmenté durant cette période, c’est sa qualité qui a chuté car le pain de guerre est désormais rond pour optimiser la cuisson, et il est lourd, indigeste. Par contre le coût d’autres produits connaît une hausse vertigineuse comme la pomme de terre, le vin, l’huile d’olive. Cette inflation profite aux producteurs qui n’ont jamais connu d’aussi bons revenus. Si l’on a du mal à vendre les melons, le vin, d’autres produits font défaut et chacun se trouve contraint de s’adapter : le sucre est remplacé par le glucose, pour le tabac, chacun fait preuve d’inventivité : on fume la fleur de tilleul, de verveine… La guerre finit par miner le climat social avec son lot de violences et trafics en tous genres… Plus le temps passe, plus se développe une ambiance délétère dans les relations : on surveille de près la poudrerie de Sorgues au cas où il viendrait à l’idée de certains ouvriers de faire grève ; plus grave : on soupçonne les soldats de ne pas vouloir retourner au front ! En novembre 1918, quand la guerre se termine enfin, c’est la redoutable épidémie de grippe espagnole qui fait de nombreuses victimes. Des soldats du 15ème corps sont encore sur le front russe ; en avril 1919, ils se mutinent et refusent de se battre contre les Bolcheviks, alors que la guerre est bien finie en Europe occidentale. Le Corps sera sifflé au défilé du 4 juillet 1919 aux Champs Eysées.
Serge Truphémus laisse la parole à l’assistance. Les questions et remarques portent sur le rapatriement des corps des hommes morts au combat et sur le sujet de la réhabilitation de la mémoire des fusillés, problème qui reste entier. La discussion se poursuit avec animation. Monsieur Truphémus termine sa conférence en évoquant toutes les blessures invisibles laissées par cette terrible guerre; pour les prisonniers, les traumatismes se sont accumulés, celui de la capture, puis de la captivité, celui enfin du retour terni par le soupçon de lâcheté, ce qui fait qu’ils se sont longtemps tus. Et bien sûr, il rappelle l’indispensable devoir de mémoire qu’il faut continuer de cultiver dans notre société. Les poilus, avec les souffrances qu’ils ont endurées pour notre liberté, restent très vivants dans notre mémoire collective. Terminons en citant l’ouvrage de Monsieur Truphémus, qui vient de paraître aux éditions Privat : « Trois frères en guerre » : le destin de trois frères dans la grande guerre, retracé à travers différents documents précieux confiés par la fille de l’un d’entre eux : carnets de route, mémoires, échanges épistolaires avec leur famille… Serge Truphémus, qui poursuit ses investigations sur la Grande Guerre dans notre département, est en quête de documents que des Vauclusiens détiendraient et qui feraient avancer encore un peu plus la connaissance sur le sujet.
Un appel est donc lancé. Il suffit de s’adresser aux « Amis du Vieux Velleron » par téléphone ou courriel. Notre association, elle aussi très intéressée par le sujet, se fera un plaisir de scanner des originaux et de transmettre des copies à Monsieur Truphémus avec qui elle reste en contact. Merci d’avance ! MC.B
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