45 ème Café Mémoire Vendredi 14 Avril 2017
» Venasque, l’origine de la Croix Occitane » Par Jean Gallian *
Malgré le sujet « très régional », de ce Café Mémoire, tout se liait (météo capricieuse et quelquefois frisquette, vacances scolaires, fêtes Pascales…) pour craindre une petite assemblée…
Même les jardins avaient refusé leur collaboration à la décoration de la salle, mais n’avaient pas réussi à en supprimer l’ambiance chaleureuse, qui y régnait ce soir là, pour y partager une cinquantaine de plateaux repas.
Alors que les conversations continuaient d’aller bon train, les premiers auditeurs venus écouter la conférence seule, se pressaient déjà autour des tables installées à leur intention sur lesquelles, comme à l’accoutumée, quelques friandises complétées pour la circonstance de chocolats de Pâques les attendaient. En tout, une petite une petite trentaine d’auditeurs prirent place, en prenant un café ou une tisane dans l’attente du début de la conférence !
Agréablement surpris par le déroulement de la soirée, bientôt, tout le monde fut prêt pour découvrir sur « grand écran » (nouvelle acquisition de l’association) le très riche et documenté diaporama de M. Gallian.
Je laisse le soin à Marie-Claude B. le plaisir de vous faire partager ses notes prises au cours de cette soirée.
Monsieur Gallian nous entraîne dans les mystères des origines de la fameuse croix qui figure les terres, la langue et la culture occitanes.
Nul doute : représentée sur les sceaux des comtes de Toulouse depuis le XIème siècle, cette croix est devenue le fort symbole identitaire régional. L’attachement à cet emblème est toujours aussi vif de nos jours, comme en témoigne la réalisation, en 1995, d’une splendide croix occitane géante, en bronze, sur la Place du Capitole
de Toulouse. Et on la trouve toujours (à demi, mêlée aux pals du Roussillon) sur l’emblème choisi par la nouvelle région née du dernier découpage : Occitanie.
Mais voilà : cette croix fut, au Moyen-Âge, l’apanage des marquis de Provence, alors, la question est posée : a-t-elle une origine languedocienne ou provençale ?
- Une certitude sur sa forme, décrite avec précision par l’héraldique.
Il s’agit d’une croix grecque (ses branches sont égales), pattée (elles vont du centre vers l’extérieur en s’élargissant), cléchée (dont les branches ressemblent à une poignée de clef romaine), vuidée (car sans consistance avec un milieu évidé), pommetée de trois boules à chaque branche (soit 12 boules en tout)
- L’incertitude commence quand on s’interroge sur le symbolisme de sa forme.
On peut y voir un symbole solaire (12mois), astral (12 signes du zodiaque), spirituel (12 marches pour accéder à la connaissance suprême), chrétien (les trois boules de chaque branche représentant la Trinité, les 12 boules les 12 apôtres).
- Des origines très anciennes et lointaines.
Bien avant la création des règles savantes de l’héraldique, il existe, très loin de notre pays, des traces de cette croix dont le graphisme a évolué peu à peu. On la trouve notamment dans les premières églises chrétiennes de Méditerranée orientale. Elle proviendrait du chrisme monogramme, composé des deux premières lettres du christ en grec.
- On la retrouve, au Moyen-Âge, dans les terres provençales.
Elle fut le blason de Guillaume le libérateur et de son frère Roubaud, devenus maîtres incontestés d’un nouveau marquisat de Provence après avoir réussi à battre définitivement les Sarrasins qui pillaient la région. Tous deux prirent le titre de marquis de Provence. Et ils auraient adopté comme emblème la croix pommetée à 12 boules.
- C’est par le biais d’un mariage que la croix se serait répandue dans le Languedoc et le Pays Toulousain.
En 1019, le comte de Toulouse Guillaume Taillefer de St Gilles épouse Emma, « dite de Venasque », fille de Roubaud, marquis de Provence.
Emma transmet donc par son mariage les droits de la lignée de Roubaud à la maison de Toulouse, à savoir une partie du marquisat de Provence (dont les terres du futur Venaissin) et sûrement son emblème, la croix de Venasque, adoptée par son père et son oncle.
- Désormais, c’est en qualité de marquis de Provence que les Toulouse l’utilisèrent.
Le Comte de Toulouse et marquis de Provence, Raymond IV de Saint Gilles, fut, semble-t-il, le premier à utiliser cette croix comme symbole de son pouvoir. Il la fit graver sur son sceau lors de son départ pour la première Croisade, en 1096.
Ses successeurs firent de même. La monarchie française l’utilisa après le Moyen-Âge, durant les Temps Modernes, comme emblème des Etats du Languedoc. Elle est donc définitivement attachée aux terres occitanes.
- Et pourtant, les Provençaux revendiquent toujours cette croix comme une marque identitaire de leur passé.
Certes, le Comtat Venaissin, une fois passé sous la tutelle papale en 1274, abandonna la croix au profit des clefs sur ses armoiries. Mais bien des historiens s’accordent à penser que les seigneurs de Venasque furent bien les premiers à en orner leur blason. Et les arguments ne manquent pas.
Guillaume le Libérateur fut inhumé à Sarrians où ses héritiers firent élever la Chapelle Sainte Croix, disparue depuis fort longtemps. Mais un morceau de la croix aurait été récupéré et vénéré par la population. Une chapelle Sainte Croix du Ventoux fut édifiée au XVème siècle pour recevoir la relique, et elle devint lieu de pèlerinage. L’édifice fut plusieurs fois démoli. La chapelle d’origine se situait à l’emplacement actuel de l’émetteur. Si la chapelle actuelle, qui date de 1936, n’a gardé de l’ancienne que le nom, sa présence certifie la véracité des faits passés.
Autre argument : on peut voir à l’abbaye de Sénanque la croix qui décore le tombeau funéraire de Geoffroy de Venasque, petit-fils de Guillaume le Libérateur.
Et, s’il fallait une preuve supplémentaire, savez-vous que la croix est présente sur les armoiries de certaines de nos communes ? Les vassaux des marquis de Provence ont sans doute adopté l’emblème de leur suzerain…
Alors, en attendant que les historiens trouvent de nouvelles preuves qui confirment ou infirment ses convictions, notre conférencier, natif de Caromb et très attaché à sa contrée, préfère penser que la croix est bien de chez nous, c’est-à-dire de Venasque… Et les Provençaux que nous sommes n’ont aucun mal à se laisser convaincre !
Lorsque la dernière diapositive s’afficha sur l’écran, M. Gallian fut applaudi par une salle restée captivée toute la soirée, et reprit avec plaisir le micro pour répondre aux nombreuses questions.
Juste avant de se séparer, très gentiment, il se plia à la tradition en signant l’affiche comme il est coutume de la faire après chaque Café Mémoire.
Il était temps de nous souhaiter le bonsoir, mais pas avant d’avoir rappelé que le prochain Café Mémoire (dont la date est avancée au vendredi 2 juin pour cause d’indisponibilité de la salle) aura lui aussi un sujet bien régional, puisque Jean Ronze, nous dira TOUT (ou presque) sur les histoire et légendes des pêcheurs et braconniers de notre belle Sorgue… Nous vous attendons très nombreux ! M.K
*Grand Armorial du Comtat Venaissin Jean Gallian