Cette conférence, l’association la voulait depuis plusieurs années. Le projet enfin concrétisé, c’est le 1er mars, salle de la Garance, que la population est conviée pour l’évocation d’une période particulièrement douloureuse du XXème siècle : l’occupation de la France par les Allemands durant la seconde guerre mondiale, la Résistance, la déportation.
Pas d’historiens pour l’occasion, mais des êtres qui ont vécu, souffert, qui ont agi au péril de leur vie, qui ont subi des atrocités, qui ont tous été marqués pour toute la suite de leur existence.
Pas d’études d’archives, mais des souvenirs encore bien présents, autant de témoignages précieux, de plus en plus rares, 70 ans après les faits.
De nombreux Velleronnais, qui ont bien compris le caractère exceptionnel de ce rendez-vous se sont déplacés et à 15 heures, la salle de la Garance était pleine. Monsieur Olivier Saphon présente tous les invités de cette conférence, venus témoigner afin que la mémoire collective ne s’éteigne pas.
De gauche à droite : Monsieur Jean Bottey président départemental de l’ANACRAR , Madame Raymonde d’Isérnia, présidente de l’Association des Familles des Déportés, Internés, Résistants, Patriotes, Monsieur Sylvain Meyer, Velleronnais bien connu dans le village, Monsieur Pierre Orinier membre du conseil d’administration de l’ANACR, Monsieur Olivier Saphon, secrétaire et membre du conseil d’administration de L’ANACRAR de Pernes.
Durant leurs interventions défile un diaporama préparé avec soin pour illustrer leurs propos.
D’entrée, Monsieur Sylvain Meyer annonce avec spontanéité que « conférencier n’est pas son métier« , emportant l’adhésion de l’assistance déjà conquise par son naturel et sa modestie. Sylvain préfère donc lire ses souvenirs consignés sur des feuillets dans le souci de respecter la chronologie, de ne rien oublier, de surtout n’oublier aucun de ses camarades de combat. Il se lance dans le récit de son entrée en résistance, lui le jeune homme de 20 ans qui travaille à la ferme de son père et qui a été marqué par les récits des souffrances de la guerre 14-18 : son père a connu la vie dans les tranchées et trois membres de la famille y ont laissé la vie.
Ses idées sont déjà bien arrêtées : pacifiste dans l’âme, il ne peut pas voir le gouvernement de Vichy bafouer les principes de la république sans réagir. Très vite, il est considéré par l’administration locale comme « un triste individu », astreint à résidence dans sa commune. C’est au retour des Chantiers de jeunesse que Sylvain, va s’engager en résistance : après avoir collecté de la nourriture pour un groupe de maquisards des Monts de Vaucluse, il devient agent de liaison du Maquis Jean Robert. Sylvain, alias « commandant Gervais » parle de ses différentes actions : d’abord, la transmission de renseignements, la diffusion de tracts, puis à partir de 1943, grâce aux parachutages d’explosifs, des opérations, avec d’autres jeunes, de sabotages des voies de communication afin de perturber les déplacements des Allemands. Sylvain se garde bien de passer sous silence les échecs trahissant l’inexpérience totale de ces jeunes gens en matière de détérioration de matériel et que les circonstances obligent à pratiquer des méthodes de « terroristes ». Ces « artificiers en herbe » comme il les désigne lui-même, prennent des risques considérables pour souvent ne réussir que des dégâts minimes. (Et pourtant, ils réussissent à faire sauter un pont métallique de 90 tonnes). Ils sont également chargés de mener des jeunes gagnant le maquis lorsque le STO est décrété: une montée épuisante, à vélo, sous un soleil écrasant. Ils sont portés par leur jeunesse, leur fougue, leur détermination, leur inconscience aussi ; ils n’hésitent pas à entreposer à la « Pouyaque » (ferme de la famille Meyer) des armes qui viennent d’être parachutées dans six conteneurs, avant de les transporter sur le dos par petits paquets dans un lieu plus sûr, puis de les répartir entre le maquis Jean Robert et le maquis du Chat de Lagnes avec Jules Ten et Alphonse Begou, maréchal ferrant du Thor.
C’est en août 44, après le débarquement, alors que la France retrouve progressivement sa liberté, que le maquis Jean Robert perd des hommes, qui sont fusillés par un groupe de SS qui vient d’encercler la ferme de Barbarenque.
Un moment particulièrement émouvant : Sylvain tient à dire un monologue attribué à Edmond Rostand que dans sa jeunesse sa tante lui a fait lire, apprendre, et qui l’a marqué, lui, qui a toujours exécré les armes et la guerre. Ce texte met en garde contre les jeux guerriers auxquels des jeunes aiment s’adonner dans leur enfance : »…Mères, si vous craignez d’être celles qui pleurent, ne leur permettez plus ces sombres singeries… » Il le déclame sans la moindre hésitation et reçoit les applaudissements chaleureux et émus de l’assistance.
Puis c’est le tour de Mme Raymonde d’Isernia, fille d’un des fusillés de Valréas, le 12 Juin 1944, juste après le débarquement de Normandie. Alors que les représailles ennemies s’intensifient, une unité allemande, composée entre autres d’une compagnie de légionnaires de la division Brandebourg, menace toute la population de Valréas, malgré les efforts de son maire Jules Niel. Elle évoque cette tragédie, ce jour terrible, où, toute petite, elle doit avec ses parents sortir sur la place de la mairie de Valréas où l’ennemi exige le rassemblement de la population avant de fusiller froidement ces 53 hommes alignés le long d’un mur. (27 résistants et 26 otages). Elle garde intact ce souvenir, se rappelant qu’un homme à qui sa mère demande de se reposer un instant, lui a répondu dans un français parfait. En effet, l’assistance se pose la question du recrutement désormais quasiment certain de Français dans la redoutable division Brandebourg, chargée de poursuivre les résistants et qui a commis les pires exactions dans la région; la tragédie de Izon la Bruisse (35 fusillés) en fait aussi partie.
Elle évoque le parcours de Monsieur Cordola, tout en insistant sur le fait qu’elle se refuse à parler en son nom.
Annoncé dans cette conférence, Albert Cordola n’a malheureusement pas pu participer. Dans « Quelques passages de ma simple vie « , ouvrage écrit en 2002, il apporte un témoignage de sa vie de résistant et de déporté.
Les positions du gouvernement de l’époque heurtent profondément les convictions patriotiques et sociales de ce jeune militant communiste de Grenoble qui n’accepte pas les complaisances, la soumission, face à l’envahisseur allemand, d’un gouvernement qu’il juge « plus préoccupé à faire la guerre à l’intérieur contre les communistes ». Il fait partie des résistants de la première heure qui commencent par des inscriptions sur les murs, puis des tracts distribués pour éveiller les consciences. La ronéo est donc leur seul outil de combat, qu’il faut, par prudence, déplacer de temps à autre. C’est pour cette raison que sa vie bascule en mars 1941, quand des hommes de la police de Vichy viennent fouiller la maison de ses parents, afin de trouver cette ronéo, preuve de ses agissements nocturnes. Albert et ses parents sont embarqués au commissariat de police. A partir de cet instant, le jeune homme perd sa liberté, qu’il ne retrouvera qu’à la fin de la guerre, après son retour de déportation. C’est d’abord sur le territoire français qu’il découvre l’horreur du monde carcéral avec les tortures, les restrictions alimentaires au point de laisser mourir de faim, les simulacres de procès, les condamnations au peloton d’exécution. Il passe dans différentes prisons : St Joseph à Grenoble, Montluc à Lyon, la maison d’arrêt de St-Etienne, Puis c’est la prison d’Eysses de Villeneuve sur Lot. Là, plus de prisonniers de droit commun, mais 1200 détenus politiques du sud de la France regroupés par le régime de Vichy, condition favorable au développement de l’esprit de cohésion, seule chance de survie et, malgré l’emprisonnement, du renforcement de la détermination à résister. Bien sûr, le risque est majeur et en février 1944, une mutinerie se solde par un simulacre de procès et la condamnation, sous les ordres de Darnand (haut responsable de la milice), au peloton d’exécution de 12 mutins. Aux salves des armes, les 1200 détenus reprennent la Marseillaise que les condamnés ont entonnée avant de mourir…
Pour les prisonniers d’Eysses qui échappent à ces exécutions sommaires, le calvaire n’est pas terminé : en mai 1944, ils sont livrés aux nazis.
De Compiègne, ils partent en Allemagne, entassés dans des wagons à bestiaux. On les emmène à Dachau, le camp de la mort. Ils découvrent maintenant l’univers concentrationnaire de ce camp dirigé par des SS qui se délectent à pratiquer des expériences inqualifiables. Là encore, le plus urgent est de survivre. Pour Albert Cordola, la force de lutter tient en une phrase de l’écrivain Henri Barbusse, qu’il se répète inlassablement : « Ami, où que tu sois, qui que tu sois, pense, qu’il y a toujours là-bas un homme qui veille sur toi« .
Enfin viendra l’heure de la liberté et du rapatriement. Monsieur Cordola et les autres arrivent à Strasbourg, le 8 mai 1945, jour de la capitulation allemande.
Madame Raymonde d’Isernia parle de la vie des déportés dans les différents camps de concentration, les tortures mentales et physiques, toutes ces abominations dont peuvent aussi être capables les êtres humains durant ces périodes. Là aussi, est soulevée la question du rôle joué par certains Français, prisonniers de droit commun, libérés pour aller jouer le rôle de « Kapo », ces geôliers corrompus, abjects, passés maîtres dans l’art de la torture.
Au cours de cette conférence sont également cités les grands lieux de mémoire dans notre département, ainsi que les rassemblements comme celui du Beaucet, organisé chaque année le 2 août par l’ANACRAR.
La conférence se termine par la diffusion du Chant des Partisans, hymne de la Résistance française, qui servait d’indicatif de la radio BBC britannique et signe de reconnaissance dans le maquis. Chacun se lève en respect de ces hommes de l’ombre, toutes ces personnes qui se sont battues avec acharnement, qui ont perdu leur vie ou qui ont pris les plus grands risques au nom de la défense de la liberté et des valeurs républicaines.
De nombreuses personnes se rendent ensuite au Château de Cambis pour voir les deux expositions itinérantes, prêtées par l’ANACR du Vaucluse durant quatre jours à l’occasion de cette conférence, l’une sur la Résistance (et notamment en Vaucluse) l’autre sur la déportation. A travers des cartes, des photos, des récits de prisonniers, des poèmes rédigés dans les camps, chacun découvre ou redécouvre avec beaucoup d’émotion, la réalité du drame humain de cette période, à travers les actes les plus nobles ou les plus vils.
Le sujet inspire bien des réflexions qui s’échangent ensuite autour d’un apéritif dans la cour de Cambis.
Citons quelques ouvrages :
Le livre « Nous étions des terroristes » est toujours disponible. Jean Garcin, alias « commandant Bayard« , y retrace ses souvenirs de résistant dans la région où il a commencé ses actions avec Jules Ten de Lagnes et Alphonse Begou, maréchal ferrant de Le Thor dont a parlé Sylvain Meyer. Il fut chef du Groupe Franc de Vaucluse, puis de la R2, avant de devenir Inspecteur Régional des FFI. Après la guerre, Jean Garcin sera maire de Fontaine-de-Vaucluse, puis Conseiller Général du canton de l’Isle sur Sorgue, avant de prendre la présidence du Conseil Général de 1970 à 1992. Au musée de la Résistance de Fontaine de Vaucluse, crée à son initiative, se trouve un exemplaire de son ouvrage, dédicacé à son père Robert, déporté et mort à Buchenwald.
« Quelques passages de ma simple vie » d’Albert Cordola, édité par l’A.D.I.R.P. de Vaucluse est disponible au musée de la Résistance de Pernes ou à l’ANACR de Pernes ou d’Avignon..
« La tragédie du maquis d’Izon la Bruisse« , édité par l’Association pour la Mémoire de la Résistance et de la Déportation dans les Hautes Baronnies (président : Mr Robert Pinel)
« Le 12 Juin 1944, 53 fusillés à Valréas » édité par l’Association cantonale des Réfugiés et Déportés de l’Enclave de Valréas.
« Sanglante randonnée. Les Français de la division Brandebourg et des formation de chasse SS » de Olivier Pigoreau, journaliste historien – Histoire et Collection.
Signalons que le film de la conférence par M.Neukens est disponible : ici ! et le récit de M.Sylvain Meyer sur « ses » années de Résistance : là !
M.C-B et M.K
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