Vendredi 21 juin 2019
54ème Café Mémoire
La vie des cigales, par M. Bernard Mondon
N’est-il pas meilleure date que la fête de la musique pour honorer la cigale ? En effet, en ce premier jour d’été, Monsieur Mondon est venu nous présenter la vie de cet insecte roi qui par ses stridulations, symbolise à lui seul tout notre belle Provence
Le repas aux couleurs estivales terminé, chacun prit place pour découvrir la véritable vie de la cigale.
Bernard Mondon commença par balayer le tissu d’inepties que la fameuse fable a fixé dans nos cerveaux enfantins.
Monsieur de la Fontaine a tort. Certes il fut un fin connaisseur du monde animal qu’il observait attentivement, mais il eût sans doute été bien inspiré de ne pas présenter un insecte qui lui était totalement étranger. D’autant plus que le fabuliste grec dont il s’est inspiré ne connaissait rien d’autre que les étourdissants concerts d’un insecte qui vit à l’abri des regards.
Il faudra attendre Jean Henri Fabre pour enfin connaître le destin hors du commun de la cigale, divisé en trois vies. Monsieur Mondon tient à rendre justice à cette cigale, considérée comme paresseuse, imprévoyante, frivole, alors que chaque phase de son existence est remplie d’épreuves.
- Deux mois de vie endophyte : les œufs déposés dans un tissu végétal sont à la merci de la voracité des
insectes, parmi lesquels… les fourmis qui sont de grosses croqueuses. De ceux qui sont épargnés (5% environ) sortent les larves qui doivent chuter jusqu’à terre – fort heureusement un fil très fin leur permet de descendre en ascenseur !
- Quatre à six ans de vie hypogée : dans un sol dur et sec, la larve s’enfouit sous terre grâce à ses pattes avant, qu’elle utilise comme des pelles mécaniques. Aveugle et seule, elle creuse sa galerie,
s’installe dans sa chambre alimentaire ; son urine mélangée à la terre lui sert de mortier, pour
consolider son habitat souterrain. Mais malheur à elle si passent par là de petites bêtes noires, équarrisseuses, voraces… les fourmis ! Au terme de ce long développement larvaire, une sorte d’horloge biologique déclenche la remontée à la surface.
- Enfin, trois à quatre semaines de vie aérienne. A l’air, son habit de terrassière se met à durcir,
mais les équarrisseuses sont à l’affût pour passer à l’attaque.
Elle grimpe sur le premier support qu’elle trouve, et – instant prodigieux pour qui peut l’observer – dans une extraordinaire gymnastique aérienne, une nymphe verte finit par s’extraire de son exuvie ; dans un ultime effort, elle se redresse pour reprendre la position normale. Moment de grande vulnérabilité dont profitent de multiples prédateurs : insectes (sauterelles, mantes religieuses…) mais aussi oiseaux ( pies, guêpiers…)
Un temps de séchage est nécessaire pour la raffermir et la colorer de brun, comme l’écorce avec laquelle elle va se confondre.
Pas de temps à perdre. Il lui faut se nourrir : ne croyez pas qu’elle cherche un « vermisseau pour subsister jusqu’à la saison nouvelle » non, grâce à son rostre, sorte de suçoir, elle s’abreuve de sève tandis que d’autres insectes opportunistes viennent profiter du festin, et les plus opiniâtres sont… les fourmis !
La cigale prend des forces pour une mission de la plus haute importance : assurer sa descendance. Afin d’attirer les femelles, les mâles se lancent en chœur dans un jeu de séduction particulièrement assourdissant dès que la température dépasse un certain seuil; mais ils ne chantent pas, -encore une erreur à dénoncer !- ils jouent de la musique grâce à un extraordinaire instrument : des cymbales, dont le son est amplifié par l’abdomen qui sert de puissante caisse de résonance.
Sitôt l’accouplement terminé, la femelle s’en va déposer ses œufs dans des rameaux secs où elle plante sa tarière, tandis que le mâle, poursuivant cette frénétique course à la vie, attire d’autres femelles. Bien vite, épuisées, avant même la fin de l’été, les cigales mâles et femelles, chutent et meurent. Cette frénésie apparemment insouciante n’est que l’annonce d’une fin de vie, le destin accompli.
Quand « la bise » est venue, les cigales ont depuis longtemps disparu. Seule trace de leur court passage : ici ou là une défroque percée encore accrochée à un tronc.
Si la célèbre fable est contestée, elle n’en a pas moins inspiré bon nombre d’écrivains pour des détournements, parodies, pastiches en tous genres. Notre conférencier nous a livré la version de Françoise Sagan :
La fourmi et la cigale
La Fourmi, ayant stocké
Tout l’hiver
Se trouva fort encombrée
Quand le soleil fut venu :
Qui lui prendrait ces morceaux
De mouches ou de vermisseaux ?
Elle tenta de démarcher
Chez la Cigale sa voisine,
La poussant à s’acheter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison prochaine.
» Vous me paierez, lui dit-elle,
Après l’août, foi d’animal,
Intérêt et principal. «
La Cigale n’est pas gourmande :
C’est là son moindre défaut.
» Que faisiez-vous au temps froid ?
Dit-elle à cette amasseuse.
– Nuit et jour à tout venant
Je stockais, ne vous déplaise.
– Vous stockiez ? j’en suis fort aise ;
Eh bien ! soldez maintenant. «
Une nouvelle fois, Monsieur Mondon a captivé l’assistance par ses formidables connaissances et l’art qu’il a de les transmettre. Nous nous recommandons son ouvrage sur les cigales.
Tradition oblige : Bernard Mondon a signé notre affiche. Bel été à tous ! Velleron Culture & Patrimoine sera présent à la Fête des vieux métiers le 11 août. Mc.B