La vie de Raspail.
Au café mémoire du 19 avril, a été présentée, dans une conférence passionnante, la vie tumultueuse de François Vincent Raspail, figure emblématique du XIXème siècle, mais aussi « enfant du pays « , puisqu’il a passé toute sa jeunesse dans notre Vaucluse.
A l’évocation du nom Raspail, vient peut-être d’abord à l’esprit le nom d’un boulevard, d’un lycée, d’une rue, d’une place, témoignage d’une reconnaissance que notre société a voulu rendre à ce grand homme, chimiste, médecin et homme politique. Car Raspail a passé sa longue vie à se consacrer tout à la fois à des recherches scientifiques, au combat militant pour renverser un régime politique et social très inégalitaire, à s’investir dans les soins aux plus démunis. Ce personnage attachant, éternel révolté, inébranlable dans ses convictions, mérite d’être découvert dans la multitude de ses facettes.
C’est avec le plus vif intérêt que l’assistance se laisse entraîner sur les traces de cette vie bien remplie.
Raspail est né en 1794 à Carpentras dans une famille pratiquante. Il se fait remarquer très jeune par une intelligence exceptionnelle et déjà un tempérament bien trempé. Il entame d’excellentes études auprès de l’abbé Eysseric, un vieux prêtre janséniste et républicain. Au séminaire d’Avignon, on lui confie la responsabilité de donner des cours de théologie tout en poursuivant ses études ; d’ailleurs, il remporte le prix de théologie, mais on lui demande de céder son prix à un plus ancien, car il n’a que 18 ans ! Incapable de docilité, avec déjà le sentiment d’une grande injustice, il quitte le séminaire. Il devient bibliothécaire, professeur de collège. Sa grande éloquence et son admiration pour Napoléon 1er lui permettent d’être remarqué pour la première fois publiquement en 1813, à l’occasion de l’anniversaire d’Austerlitz : le voilà désigné, à 19 ans, pour faire un discours dans la cathédrale Saint-Siffren, devant un parterre de personnalités ! Puis, il essaie même de mobiliser la population du Vaucluse contre la menace de la coalition contre la France, qui signifierait un régression sociale et idéologique. Quand les royalistes reviennent au pouvoir en 1814 et que l’empereur abdique, il continue à afficher ses idées et compose même en 1815 une chanson à la gloire de Napoléon 1er durant les « Cent Jours « . Avec le retour des Bourbons au pouvoir, les royalistes investissent son collège des Jésuites. Poursuivi, Raspail décide alors de quitter Carpentras qu’il juge trop modeste pour assouvir sa soif de connaissances et ses ambitions politiques: à 22 ans, il part pour Paris et ne reviendra pas à Carpentras.
A Paris, il obtient un poste de répétiteur en rhétorique. Là, il peut donner libre cours à sa curiosité intellectuelle : il profite du climat culturel de la capitale pour étudier le droit et les sciences expérimentales, puis la médecine. Cette période marque un tournant dans sa vie : il rompt définitivement avec la tradition catholique pratiquante de sa famille et adhère à la libre pensée. Il ne peut supporter la Restauration et il écrit des articles anonymes dans la presse d’opposition, notamment La Minerve. Il adhère au Carbonarisme, société secrète qui intrigue contre le régime en place. Toutes ces activités ne l’empêchent pourtant pas d’avoir une vie privée : après avoir vécu en union libre avec Henriette Adélaïde Trousseau, il l’épouse en 1822 ; il aura 6 enfants avec elle !..Durant quelque temps, il s’éloigne un peu de l’activisme politique et se consacre surtout à la science qu’il va utiliser de façon pluridisciplinaire, convaincu de l’unité de la nature. Les reproches sur son absence de spécialisation ne manqueront pas. Il n’empêche que, malgré de faibles moyens matériels, il rédige des articles de qualité sur les tissus animaux et végétaux. Il se fait fabriquer un microscope, fait une découverte exceptionnelle : celle des microbes, et ouvre techniquement la voie à la théorie cellulaire. Il étudie la maladie de la gale dont il découvre le responsable, un acarien particulier. Il fonde Les annales des Sciences pour les savants de l’ombre, qui bien sûr, ne sont pas reconnues officiellement !
Mais, dans ce XIXème siècle jalonné de révolutions qui tentent d’accéder enfin à un régime qui tienne davantage compte des aspirations du peuple, la politique le happe de nouveau. Lors des Glorieuses de 1830, il se joint au peuple parisien insurgé. Sérieusement blessé sur une barricade, il devient un Héros de la Révolution. A peine remis, il contribue à la création de la Société des Amis du Peuple et en devient le principal animateur avec Auguste Blanqui. Mais cette révolution populaire est récupérée par la grande bourgeoisie et la France garde encore la monarchie avec Louis Philippe au pouvoir. .Le nouveau régime essaie d’amadouer les révolutionnaires, à défaut de pouvoir les mater. C’est ainsi que Raspail accepte une distinction: la Croix de Juillet instituée pour récompenser ceux qui se sont distingués par leur dévouement à la cause de la Liberté., mais il refuse la Légion d’Honneur dans une déclaration qui mérite la postérité, il justifie son choix : » Celle-ci n’ennoblit pas, elle honore ; elle n’aura été flétrie par aucune boutonnière indigne ». Le voilà condamné à 8 mois de prison pour « offense au roi ». De plus, la Société des Amis du Peuple est bientôt interdite, ses membres arrêtés. Raspail écope de 15 mois de prison. Au cours du procès, il se fait remarquer par un long discours dans lequel il revendique la liberté de penser, d’écrire, dénonce les injustices et développe ses idées : exécutif élu par le peuple, impôt progressif, non cumul des mandats…. Le verdict est stupéfiant : après délibération, Raspail est déclaré …non coupable mais ce sont ses expressions outrageuses qui lui valent une nouvelle condamnation de 15 mois de prison ! Toujours est-il qu’il a gagné définitivement une grande notoriété auprès du peuple. Dès sa libération en 1833, il adhère à la Société des Droits de l’Homme. De nouveau, il est dénoncé pour ses propos subversifs à l’ordre établi. Et la prison « son second domicile » l’accueille de nouveau : sur les trois dernières années, il n’aura eu que six mois et demi de liberté ! Il sera même écroué en 1835 à l’occasion de l’attentat contre le roi et son fils, alors qu’il n’a rien à voir avec cet acte !. Il peut ainsi s’ériger en martyr, renforçant ainsi sa popularité auprès des révolutionnaires. En prison, il continue à s’intéresser à tous les sujets, Sa théorie politique est précisée dans le journal le Réformateur qu’il a fondé en 1834 : Il y développe ses idées très avant-gardistes : suppression de la peine de mort, suffrage universel (celui-ci ne sera adopté qu’en 1848 pour les hommes), instruction publique gratuite et obligatoire pour tous (les lois de Jules Ferry ne seront adoptées qu’en 1881-82) mais aussi réforme du système pénitentiaire, prévention plutôt que punition, éradication de la misère, sujets toujours d’actualité dans notre société du XXIème siècle. Mais pour lui, le changement ne peut se faire que de façon légale et pacifique, au contraire d’autres qui préféreraient agir par la force.
En 1836, il a 42 ans. Durant une décennie moins agitée, il ralentit son activisme politique. Il en profite pour consacrer son temps à la médecine et la chimie. Expert en toxicologie, il tente de tout son poids de connaissances de sauver Marie Lafarge accusée d’avoir empoisonné son mari à l’arsenic. Il interviendra dans un procès retentissant, sans parvenir à faire échapper la jeune femme aux travaux forcés à perpétuité. Il consacre son temps è mettre en pratique ses connaissances au service de ses convictions politiques et sociales :il soigne gratuitement les démunis, d’où son surnom « médecin des pauvres « . Il publie des conseils à la portée de tous dans ses ouvrages Histoire naturelle de la santé et de la maladie et Manuel annuaire de la santé. Il est un des premiers propagateurs de l’hygiène et de l’antisepsie, avant Pasteur. Mais il préconise aussi l’utilisation systématique du camphre comme remède quasiment miracle dans la plupart des problèmes médicaux, ce qui lui vaut de nombreuses caricatures parmi ses détracteurs. D’ailleurs, il veut même substituer sa médecine à la médecine traditionnelle.. Il s’oppose ainsi à la profession médicale. Il s’entête, incapable de sens critique sur ses théories, sûr d’avoir raison contre tous. Arrogant, il s’oppose donc à toute la profession médicale. Tout ceci lui vaut l’hostilité des milieux officiels et en 1846, il est condamné une nouvelle fois par la faculté.
Arrive la Révolution de 1848 qui plonge de nouveau Raspail au devant de la scène politique. Louis Philippe abdique. Les organisateurs du monde ouvrier ne veulent pas se faire voler la victoire comme en 1830. Une délégation se rend chez Raspail considéré comme incorruptible dans son lien au peuple. C’est ainsi que Raspail se rend à l’Hôtel de Ville et, au nom des révolutionnaires parisiens, ordonne du gouvernement provisoire la proclamation de la République. Deux jours plus tard, il fonde un nouveau journal, L’ami du peuple. Dans le même temps, le courant républicain socialiste organise un défilé en faveur de la Pologne en insurrection contre les forces prussiennes ; les têtes pensantes sont arrêtées et lourdement condamnées. Enfermé à Vincennes, Raspail est condamné à 6 ans de prison est pourtant élu député de Paris, sans pouvoir siéger, bien entendu. Ses partisans poussent à sa candidature à la présidence de la République, mais il obtient très peu de voix. C’est Louis Napoléon Bonaparte qui est élu. Raspail est encore en prison lors du coup d’état du 2 décembre 1851 qui met fin à cette république gagnée si difficilement. Il est également en prison lors de la mort de sa femme en 1853. Raspail n’est pas autorisé à de rendre aux obsèques de son épouse et c’est un immense défilé d’ouvriers parisiens qui suit le cercueil jusqu’au cimetière du Père Lachaise. Les deux dernières années de prison sont remplacées par un en bannissement et c’est … en Belgique que Raspail s’exilera. Après 10 années passées à Bruxelles (où il soigne les malades et provoque la jalousie des médecins belges), il rentre en France, auprès de son fils Vincent, à Arcueil.
Que dire de la fin de sa vie, si ce n’est qu’elle est tout aussi engagée? A 75 ans, il est élu triomphalement député à Lyon. Et il connaît encore une fois la prison à 80 ans en raison de son attitude durant la Commune de Paris en 1870. Qu’à cela ne tienne : le voilà ensuite député de Marseille jusqu’à sa mort à l’âge de 84 ans.
Il est enterré auprès de son épouse, dans l’une des plus belles tombes du Père Lachaise.
Ainsi, Raspail a fait honneur à l’engagement politique sans jamais se renier. Il a affiché bien des idées en avance sur son temps, d’un modernisme étonnant. Il a contribué à faire avancer les différents progrès scientifiques, dans une curiosité insatiable qui n’avait aucune limite (à titre anecdotique, citons le dictionnaire français-argot rédigé au cours d’un de ses nombreux passages en prison, qui en est un témoignage insolite de son intérêt pour tout sujet !)
Carpentras a su honorer la mémoire en 1978, à l’occasion du centenaire de sa mort, de cet homme intègre, totalement investi dans la cause en faveur des plus démunis.
Terminons en citant sa célèbre devise : » N’embrassez jamais la cause d’un homme, mais toujours celle de l’humanité « .
MC.B
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